C’est « Meilleur Ouvrier de France, » jamais « Meilleure Ouvrière de France »….

Dans le texte de Priscilla Ferguson, “Cooking and Chefing,” une ligne m’a vraiment frappée: “insofar as women are ‘consumed,’ they cannot produce” (139). Peut-être cette perception des femmes fait partie de ce qui les a tenues à l’écart des positions de pouvoir dans le monde patriarcal de la cuisine française. En faisant mes recherches pour ma présentation sur le “Meilleur Ouvrier de France,” j’étais surpris par les inégalités qui demeurent dans ce secteur. Jusqu’à 2022, seulement deux femmes ont reçu le titre prestigieux de MOF dans le métier de cuisine depuis presque un siècle. 

À travers l’histoire française, même si les femmes étaient toujours associées à l’espace de la cuisine, ce rôle dans la cuisine ne pourrait jamais occuper plus qu’une espace maternelle, domestique, et privé. Par contre, le monde de la cuisine française, la gastronomie, était un lieu occupé par les hommes; ce monde était public, convivial, quelque chose à partager, mais à partager plutôt avec les hommes. En regardant les textes venant du 17ᵉ et 18ᵉ siècle, on peut voir une forte division entre les deux genres. Le célèbre pionnier de la gastronomie littéraire qui a vécu la Révolution française, Grimod de la Reynière, a écrit un livre intitulé, “Discours d’un vrai gourmand: Avantages de la bonne chère sur les femmes.” Les femmes n’étaient pas seulement considérées incapables de la créativité culinaire, mais même pas de bonne compagnie pour apprécier de la nourriture avec. Grimod semble présenter une hiérarchie des façons dont on peut apprécier un repas : idéalement avec d’autres hommes bien éduqués, puis en solitaire, et enfin en compagnie d’une femme. Regardons-nous aussi à la citation au début de chapitre de Priscilla Ferguson: “Slave to routine, the impassive cook never leaves the beaten path, her crude and uninspired character is below the nobility of her functions… if a man hadn’t grabbed a hold of the frying pan, [culinary] art would have stayed where it was, and we would still be eating Esau’s lentils and Homer’s roastbeef” (131). Comme l’explique Ferguson, la professionnalisation des arts culinaires au cours du 19ᵉ siècle a exclu les femmes dans les espaces les plus publics et les plus élevés, une exclusion qui est encore apparente dans les restaurants haut de gamme en France aujourd’hui. Simplement dit, les “hommes de métier,” (139) ne pouvaient pas être les femmes.

Je trouve intéressant que cette exclusion des femmes soit particulièrement exagérée en France. En France, la cuisine bourgeoise a émergé dans l’ombre des normes aristocratiques, tandis qu’en Angleterre, la cuisine de la bourgeoisie a évolué d’elle-même, séparée de la cuisine des élites urbaines. Pour cette raison, les professionnels anglais, y compris plus de femmes, ont évolué à partir des pratiques culinaires plus domestiques associées aux ménages plus modestes et à la campagne. Tout cela montre que les choses doivent changer dans le monde de la cuisine française. Les femmes doivent avoir plus d’accès à cet espace. Comme dans tant d’autres secteurs (littérature, théâtre, etc.), il faut honorer les contributions des femmes, peut-être en créant les prix culinaires réservés aux femmes, ou rendre hommage aux femmes qui ont contribué au monde de la cuisine, mais dont l’histoire ne parle pas (mères lyonnaises).

Mythologie Slave: Soupe Bortsch

Dans Mythologies, Barthe évoque le côté dangereux des mythes, parlant de comment les mythes peuvent être utilisés comme des armes. Il écrit qu’il y a des “mythes fort aimables qui ne sont tout de même pas innocents” (72), et souvent, ils sont les produits “d’une expropriation” (72). Pour lundi, Professeure Corbin nous a demandé d’esquisser notre mythe. En réfléchissant à mon héritage russe, j’ai immédiatement pensé à bortsch, une soupe rouge à base de bouillon de viande ou d’os, de légumes sautés, et de betterave aigre. C’est une partie profonde de la culture culinaire slave. Je n’ai pas grandi avec cette soupe, mais avec son mythe. Une assiette creuse de soupe rouge au goût chaud et désagréable figurait fréquemment dans les récits de ma mère sur son enfance en Russie soviétique. Beaucoup de Russes considèrent bortsch, comme l’écrit Barthe à propos du vin, “un bien qui [leur] est propre” (69). 

En mai 2019, le Twitter officiel de la Russie a publié une carte de recette, une photo, et une vidéo d’instructions pour le bortsch, affirmant qu’il s’agissait de l’un des plats les plus appréciés de Russie, un classique intemporel. Les Ukrainiens, cependant, revendiquent la soupe comme la leur. Pour beaucoup, la revendication de la Russie sur un plat aussi typiquement ukrainien représente une tendance de l’oppression historique de la Russie sur la langue, la politique, et l’indépendance de l’Ukraine. 

Selon Olesia Lew, chef new-yorkaise et consultante en chef pour Veselka, le bortsch a probablement entré dans la mythologie soviétique à l’époque stalinienne à la suite d’un effort du Kremlin. Stalin a chargé son commissaire à l’alimentation, Anastas Mikoyan, d’établir une cuisine nationale soviétique qui s’adressait aux plus de 100 “nationalités” différentes trouvées dans l’URSS. Il était en train de produire de masse de l’identité culturelle. 

En réponse au Tweet, beaucoup de chefs ukrainiens ont demandé à l’UNESCO de faire reconnaître le bortsch comme un élément du patrimoine culturel ukrainien, qu’il est si distinct que personne d’autre ne peut dire qu’il l’a inventé. En 2022, l’UNESCO a inscrit la culture de cuisiner le bortsch dans la liste: “Intangible Cultural Heritage in Need of Urgent Safeguarding.

En contexte de l’invasion russe de l’Ukraine, cette dispute a de lourdes implications sur la manière dont les mythologies peuvent être des armes. La nourriture est toujours partagée à travers le monde; à mesure que les personnes se déplacent, la nourriture se déplace et se répand. La nourriture peut unir les personnes. Mais, quand un mythe essaie de priver des autres gens de leur propre mythe, ou rejette leurs mythes culinaires, les choses se compliquent. Alors que certains soutiennent que le bortsch n’appartient vraiment à personne et qu’il devrait être «partagé», beaucoup  d’Ukrainiens affirment que partager leur patrimoine n’est pas une option, surtout pas en ces temps. Ils revendiquent leur mythe comme le leur. 

Questions pour réfléchir: Qui a des droits sur certains mythes ? Qui crée ces mythes ? Quel rôle jouent-ils dans la société et à l’échelle politique plus large ? Comment les mythes sont-ils utilisés pour exploiter les autres ?

Comme l’indique Barthe, la puissance et l’importance de la mythologie culinaire ne peuvent pas être niées.

Le Goût Comme Lieu de Mémoire 

Dans “La Distinction,” Bourdieu écrit que le goût “renvoie directement aux expériences les plus anciennes et les plus profondes” (86). Il évoque la manière dont le goût est particulièrement nostalgique. Cet élément nostalgique est dû au fait que le goût échappe aux contraintes du langage— il est si difficile de décrire le goût— le rendant si puissant pour évoquer des mémoires. Pensons au début de “À la Recherche du Temps Perdu,” où c’est le goût d’une madeleine qui fait penser Marcel à son enfance à Combray. C’est inconscient, involontaire. Bourdieu explique que notre goût nous ramène à nos expériences les plus primitives, comme celles de la détermination de l’opposition simple : “chaud/froid, grossier/fin” (86). À l’état naissant, c’est le goût qui aide à encadrer notre compréhension précoce du monde.

En écrivant sur les goûts, Bourdieu écrit que l’antithèse entre la quantité et la qualité, la substance et la forme, correspond à l’opposition entre le goût de la nécessité, qui privilège les aliments les plus nourrissants et les plus économiques, et le goût de la lux, mettant l’accent sur la manière de présenter et ayant une tendance à utiliser des formes esthétiques pour nier la fonction. 

Mais, il suffit de regarder la lecture que nous avons faite cette semaine pour voir comment le goût encadre ces expériences de la petite enfance et de l’adolescence. Ce que le livre d’Annie Ernaux m’a appris est qu’un enfant, à table, apprend beaucoup plus qu’un palais raffiné. Ce qu’ils apprennent va bien au-delà de la division ambiguë entre goûts de luxe et goûts de nécessité. Dans son roman autobiographique « Les années », Annie Ernaux s’appuie fréquemment sur ses souvenirs de repas de famille. Elle remarque qu’aux repas de famille, les adolescents se reposaient à table, « écoutant les propos sans s’y mêler » (60). Ernaux écrit que les adolescents ne “se sentant pas encore prêts à entrer de plein droit dans la conversation générale” (61). Au lieu de parler, ils écoutent. Ils sont en train de découvrir. À table, les adolescents entendent « le roman de [leur] naissance et de [leur] petite enfance » (61). Remarquez le mot « roman » ici, qui nous renvoie à cette relation réciproque entre littérature et la gastronomie. Ce qui est partagé à cette table, ce sont des histoires du passé qui échappent à la mémoire de ces enfants. Ces histoires permettent d’accueillir les adolescents dans la mémoire collective de leur famille, via le repas. Ernaux écrit plus tard que ce n’est pas le sang qui unit sa famille. Ce sont plutôt leurs expériences partagées qui les unissent. Enfants, ayant raté beaucoup de ces expériences, ces histoires qui unissent la famille sont partagées avec les adolescents pour les aider à se rapprocher de leur famille. 

C’est finalement pourquoi le goût nous ramène à nos premiers souvenirs. C’est un lieu de mémoire, de nos premières versions de soi venant juste de comprendre le monde qui nous entoure.

La littérature et la cuisine : une collaboration

Sans lire ce texte, de quoi penseriez-vous qu’il parle? Bien que ces longues phrases et ce format de paragraphe ne semblent pas être une recette, il s’agit, en fait, d’une recette de « Baba » tirée du « Journal des Gourmands » (1808) de Grimod de la Reynière. En lisant cette livre patrimoniale à la bibliothèque Ceccano mardi, j’étais frappée par la manière dont les recettes sont très littéraires, presque comme un roman. On était déjà introduit au lien entre la littérature et la gastronomie la semaine dernière, dans l’article “La Gastronomie” par Pascal Ory. En expliquant ce lien, Ory a écrit que “il n’en demeure pas moins que faire l’histoire de la gastronomie, c’est faire l’histoire d’une littérature” (829). Mais, c’est une chose de le lire dans un article de journal, et un autre de voir cette intersection entre la belle langue et la cuisine sur l’ancienne page devant vous. Intriguée, j’ai continué à lire ce journal pour voir quoi d’autre, je pouvais découvrir.

Ce livre étant un journal de gastronomie — étant en fait le pionnier de la presse gastronomique— j’ai pensé, à d’abord, que le livre était très exclusif, ne s’adressant qu’à une élite de personnes ayant le droit au « bon goût ». J’ai été surpris de voir à quel point le livre était une collaboration, une intersection de différentes voix dans la communauté. Les pages sont remplies de chansons, d’histoires, de poèmes et, bien sûr, de recettes. Comme explication, Grimod de la Reynière écrit: “Plusieurs Éditeurs nous ayant demandé la permission de puiser des chansons dance ce Journal, nous la leur avons accordée” (78-79). Il écrit que les exigences pour être inclus dans le journal ne sont que “Esprit, grâce et décence” (9). Avec cette observation, je ne veux pas dire que la gastronomie était accessible aux Français. Le taux d’alphabétisation extrêmement faible (en particulier parmi les classes populaires, et notamment, parmi les femmes) exclut à lui beaucoup de ce type de journalisme. Cependant, je trouve intéressant que Reynière ait compris la gastronomie comme une collaboration, une union de voix. Ses livres et journaux ont servi de publicité culinaire, partageant l’art de la gastronomie avec ceux qui pourraient y accéder. 

Cela revient à un point qu’Ory a fait dans son article de la gastronomie nécessitant une sorte d’union. Quant à “l’art” de la gastronomie, “les intérêts du cuisinier et du gastronome sont ici solidaires et, si le premier est promu artiste, le second voit sa fonction élevée au rang de la critique d’art” (829). 

Nous avons fait l’activité le lundi, en entraînant notre nez, en groupe. Nous avons eu besoin de nos camarades de classe pour nous aider à évaluer ces odeurs. Tout cela nous rappelle que l’acte de manger est intrinsèquement social.

Faire mes courses à Avignon et ma découverte du « NutriScore »

Depuis mon arrivée à Avignon, j’ai eu de nombreuses nouvelles expériences. L’une de ces nouvelles expériences a été de faire mes courses et à cuisiner pour moi-même. Si Marthe Daudet n’a pas aimé le repas qu’elle décrit dans « Le Mauvais Dîner, » j’ai peur d’imaginer ce qu’elle aurait dit si elle avait gouté un des premiers repas que j’ai préparés ici. Cependant, ce qui a vraiment attiré mon attention, ce sont les petits carrés colorés sur chaque aliment dans un supermarché. Donc, j’ai fait un peu de recherche sur eux pour partager avec vous. Ces carrés colorés sont appelés « NutriScore ». Nutriscore, mis en place en 2017, attribue aux produits une lettre de notation variant de A, la meilleure notation, à E, la pire notation, avec des couleurs associées allant du vert au rouge. L’objectif du Nutriscore est de simplifier le système de notation nutritionnelle et de démontrer la valeur nutritionnelle globale des produits alimentaires aux consommateurs. Il a été créé par l’agence française de santé publique, ou Santé Publique France, et été basé sur les travaux de Serge Hercberg de l’Université Sorbonne Paris Nord. Actuellement, le système Nutriscore est appliqué volontairement dans les pays de l’Union Européenne tels que France, Belgique, l’Espagne, et la Suisse. Bien que Nutriscore semble être un moyen utile de comparer les aliments, il a été critiqué par de nombreuses personnes. Il a fait face à une opposition de la part des agriculteurs de France. L’industrie alimentaire a également tenté d’éviter la mise en place de Nutriscore.

Nous n’avons pas d’équivalent aux États-Unis. J’ai trouvé le NutriScore très intéressant, et je pense qu’il reflète l’importance que l’on accorde à la qualité de l’alimentation française. Comme nous avons lu dans nos textes cette semaine, les Français apprécient la qualité de leur nourriture : son goût, sa présentation, sa température, sa préparation. Je pense que l’importance de la nourriture et sa qualité se traduisent dans les supermarchés en France.

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